Journalistes, citoyens modèles ?

Publié le par Dialectikon

Le journaliste français est un citoyen fragile, sensible, soucieux de justice et d’égalité des droits. Son omniscience est un fardeau pour lui, investi qu’il est d’une essentielle mission de salut public d’information.

Pourtant  comment ne pas être agacé de l’unanimité des médias sur l’essentiel des sujets, chaque journaliste individuellement s’abstenant consciencieusement de toute recherche critique : chaque matin « le dossier du jour », censé montrer leur capacité d’investigation est le même à RTL, Europe 1 ou France Inter, fait la une du Figaro, des Echos ou de Libération. Le plus souvent, la base de l’information est une dépêche de l’AFP dont les journalistes réalisent dans le meilleur des cas une vague paraphrase lorsque ce n’est pas un moderne copier-coller.

Le refus du débat portant sur l’origine humaine, forcément humaine,  des variations climatiques ou les commentaires (comment pourrait-on parler d’analyse ?) sur la situation politique américaine représentent de ce point de vue des exemples caricaturaux.

Hyper sensibles, la liberté de la presse leur paraît immédiatement mise en danger dès lors qu’un observateur ne faisant pas partie du sérail se permet une remarque sur leurs méthodes de travail ou leurs avantages par rapport aux autres citoyens.

Il en est ainsi de leur réduction fiscale pour frais professionnels  mais aussi, et c’est moins connu, de leur niche sociale leur permettant de substantielles économies de charges. Même si l’avantage était symbolique, le privilège n’en resterait pas moins une loi particulière bénéficiant à certains citoyens au détriment des autres.

Mais c’est aussi une profession largement subventionnée par les contribuables.

Moins de cotisations sociales pour les journalistes.

Pour certaines catégories de salariés, les employeurs sont autorisés à appliquer à la base de calcul des cotisations de sécurité sociale une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, en pourcentage des rémunérations.

Sont prévus dans la liste de ces ayants droits, une vingtaine de catégories, des professions aussi diverses que celles des artistes (25 %), des navigants de l’aviation marchande (30 %), des mannequins (10%) mais aussi des ouvriers du bâtiments (10 %), des mineurs de fond (10 %) mais surtout les journalistes (30 %).

Comment ne pas éclater de rire en découvrant que les « Speakers de la radiodiffusion-télévision française » ne bénéficient que de 10 % !

Ainsi, tous ceux que vous voyez paraître à la télévision, artistes, présentateurs et journalistes  paient moins de charges sociales que les vidangeurs, les coiffeurs, les conditionneurs, les caristes, les secrétaires, les comptables, les éboueurs…et sans doute vous et moi.

Précisons néanmoins que tous les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge directe de l’employeur : la déduction forfaitaire concerne les autres frais professionnels… Lesquels ?

Mais on atteint le comble quand on découvre le détail du calcul. (Source, mémento Social Francis Lefebvre, édition 2009)

Soit un journaliste dont la rémunération mensuelle est de 2500 €. L’employeur lui alloue une allocation forfaitaire pour frais professionnels de 400 € et choisit d’appliquer la déduction forfaitaire de 30 %. Pourquoi, ne le ferait-il pas ?

On pourrait s’attendre à ce que les cotisations soient calculées sur 2500 €, en laissant de côté les frais professionnels. Pas du tout : la base de calcul de la cotisation devient 2500 plus les 400 moins les 30 % de 2900, soit 2030 € !

Mais la réduction de cotisations sociales accordée ne se limite pas à la base de calcul.

En effet, les taux applicables aux journalistes se montent à 80 % des taux du régime général pour les cotisations d’Accident du travail, allocations familiales, vieillesse plafonnée cotisation patronale vieillesse déplafonnée, FNAL 0,1% et versement de transport.

Les journalistes ne participent donc pas comme les autres citoyens au financement de la sécurité sociale obligatoire. En l’espèce, sauf erreur ou omission, ils sont les seuls à bénéficier de ce dernier avantage.

Plus de subventions pour la profession.

Le numéro d’avril 2009 de Regards sur l’actualité, publié par la documentation française faisant suite aux Etats généraux de le Presse écrite qui se sont tenus d’octobre 2008 à janvier 2009 décrit avec minutie et sans complaisance la situation des médias français d’aujourd’hui.  Le moins qu’on puisse dire c’est que les conclusions n’ont pas fait beaucoup de bruit dans le Landerneau de la presse parisienne.

Outre le rappel du scandale du monopole d’embauche dans les imprimeries parisiennes, ce qui est discriminatoire au regard de l’article 1132-1 du code du travail, Olivier Bonsart, directeur délégué du groupe SIPA Ouest France revient sur celui de la distribution des Nouvelles Messageries de Presse Parisienne :

« Comme pour la fabrication, un quasi-monopole syndical a été mis en place aux NMPP, avec les conséquences sur la productivité et l’organisation du travail que l'on connaît, sans pour autant limiter les conflits sociaux. » (Regards sur l’actualité n° 350, page 56).

Lors de l’ouverture des Etats généraux le 2 octobre 2008, le président de la République a rappelé que les subventions de l’Etat à la presse représentaient 1 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 10 milliards ! Un secteur subventionné, année après année à hauteur de 10 % de son chiffre d’affaires !

« Grosso modo, peut-on lire dans le même numéro de Regards sur l’actualité, cela signifie que les salaires et les dépenses courantes des journaux sont payés par l’Etat à partir du 26 de chaque mois... »

Et le contribuable n’aurait pas son mot à dire sur la gestion et la qualité éditoriale de la presse française ? Quelle est liberté de la presse placée ainsi sous perfusion par les fonds publics ?

Et encore, ces aides ne tiennent pas compte des avantages fiscaux et sociaux octroyés aux journalistes !

Les journalistes, les médias sont très inquiets. Pour la première fois dans l’histoire de la presse écrite, le contrôle de l’information leur échappe : les rapports officiels, les lois, les documents originaux, les discours, les chiffres sont facilement accessibles en ligne et de nombreux contributeurs, qui n’ont pas leur carte de journaliste, participent à la diffusion et à l’analyse de l’information.

Certes on trouve de tout sur la toile, mais « l’honnête homme », possédant un minimum de culture et de sens critique peut faire son chemin et s’affranchir d’une bonne partie du filtre des médias.

Pour finir, ce constat d’Olivier Bonsart particulièrement pessimiste pour la presse nationale :

Les quotidiens français « vont devoir livrer une bataille intense pour, en cas de victoire, n’avoir plus que dix ans de retard sur leurs confrères européens. »

Alain Toullec

PS : pour se procurer ce décoiffant numéro de Regards sur l’actualité, cliquez sur le lien suivant

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues-collections/regards-actualite/2009/sommaire350.shtml

Version papier, 7,80 €, version PDF, 5,5 €.

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