Essais poétiques

Publié par Alain C. Toullec

Infernale perfection

Le temps était venu pour Octave
De trépasser.
D'un naturel simple, ni vraiment brave
Ni lâche, ni pur, ni mauvais par la pensée, 
Il  s'en fut au purgatoire
Soigner son spleen post mortem. 

Puis, Pierre, hôte de ces lieux, tout à son devoir, 
Sans le renier une fois même 
L'accueillit au Paradis,
Fit le tour du propriétaire, 
Le geste large et le sourire ravi,
Ne doutant pas de lui plaire.

Une fraction d'éternité passant,
Guère plus de quelques millénaires,
Octave, errant en peine, soupirant,
 S’enfonça dans l’ennui, et dit à Pierre :
« Je veux explorer, inventer, rencontrer, vivre enfin
Au sein de mon âme recluse ! »

« Pourquoi faire ?  S’indignèrent Pierre et les autres saints !
Ta motion s'impose en intruse ! 
Cet espace est un monde parfait, juste, égal pour tous
En toute chose serein, pur et doux,
Et tu le repousses ?

Jamais tu ne partiras, es-tu fou,
Rebelle au Bien, insoumis ?
Tu es au Ciel à demeure, par Lucifer ! »
Alors, s’écria Octave, dépité, meurtri,
Le paradis, c’est l'enfer.

Janvier 2017

Fontaine 

Tu m’as guidé par la main vers la fontaine
Blottie au pli d’une rive aux senteurs boisées
De fleurs d’automne, et cette vue m’a grisé
D’une chapelle de soie, offerte, sereine.
Sur la margelle, à la mousse détrempée, 
Du bout de mes doigts, cueillant cette pépite
Je l’ai posée sur mes lèvres, pour un rite
Sacré : inondé, je me suis désaltéré.
Puis, ensemble, d’un pas égal et mesuré,
Nous avons franchi le divin à l’extrême,
Et là, nos chers regards joints ont sombré, blêmes,
Graves et calmes, l’un contre l’autre serrés.
Bercés jusqu’à la joie, de toi à moi, en toi 
Pour nous, l’œil chaviré débordant de larmes, 
Nous nous sommes abrités dessous le charme,
Le cœur étreint et la gorge nouée, sans voix.
Sous les feuilles rouges, j’ai senti le printemps, 
Au centre d’un bouquet de fleurs de marronnier,
Par ce don partagé sur ce chemin altier,
Comblé d’une gorgée de sève, haletant.
Du creux de la vallée, la fontaine frémit, 
Puis jaillit, par delà les brumes délavées,
Cachée aux yeux du monde, pour nous abreuver
D’une onde riche et soyeuse, source de vie.
Décembre 2008
La chaumière
Ami,
Tu as voulu souffler
La fumée de la ville,
Tu es venu humer 
Le fumet de la vie ;
Tu as voulu parer
L'esprit du temps présent,
Tu es venu goûter
L'âme fraîche du vent ;
Tu as voulu briser
Le bruit des malheurs,
Tu es venu chanter
Le silence des heures ;
Tu as voulu chauffer
Ton cœur à la lumière,
Tu es venu danser 
Au son de la chaumière ;

Tu pensais rêver
Loin de la vérité,
Tu as été soigné 
Au feu de l'amitié.

Septembre 1976

NOVEMBRIE
Un vent fade, inodore, souffle l'ennui
Du ciel bas et gris pour qui du jour fait la nuit.
L'oiseau découragé défait son nid, s'enfuit,
Renonçant au parfum des marronniers en fleurs. 
De mon havre brumeux, je garde la chambre,
Flattant mes chimères au pays de Novembre,
Dans ces contes où même les fées se cambrent,
Fleurs des mots de têtes, fêtes des maux de cœur.
L'amour peut-il nourrir le courage de fuir
La campagne verdâtre aux horizons finis ?
De mon dos courbé, la pluie amollit le cuir.
Mes yeux clos, fatigués, dissimulent la mer, 
Sa crique abandonnée où je me réfugie,
Pour goûter seul ses fracas lancinants, amer.
Janvier 2003
Pense à toi !

Tu me dis toujours, 
Pense à toi, pense à toi…
Jusqu’au cœur de nos étreintes, inquiète,
Mon amour,
Tu murmures « pense à toi » …
Mais je ne fais que ça !
Lorsque tu acceptes mes fleurs, que tu accueille mes baisers, tu réponds à mes messages,
Lorsque je te regarde et que mon corps te réclame, tendu et chaviré,  
Lorsque tu bois, tu manges devant moi, tu te coiffes ou te maquilles,
Lorsque tu te ris de moi, 
Lorsque je dépose au creux de ton cou un baiser le plus doux,
Et que tu frissonnes,
Lorsque je te demande pardon d’être là, 
Lorsque mon amour envahit ton espace, ton souffle, tes pensées,
Lorsque le matin je veux à genoux, soumis, devant toi laver ton corps épanoui et détendu, 
Lorsque délicatement roule sous mes doigts et ma langue tes lèvres ouvertes, chaudes et humides,
Lorsque tes yeux chavirent, lorsque tu te cambres sous mes caresses, lorsque tu me serres dans tes bras,
Lorsque ma bouche rencontre, avale, mord les pointes de tes seins, 
Crois-tu que je ne pense pas à moi ?
Et si au sommet de ta jouissance, tu trouves l’extase, la plénitude, le goût de vivre, 
Si tu oublies le monde,
Si tu oublies jusqu’à mon nom, 
Si alors je n’existe plus,
Je te bénis, humble et tremblant de pénitence,
Monstre d’égoïsme, 
De cette offrande sensuelle et généreuse que tu me fais,

Éperdu de reconnaissance et de gratitude.
Car toujours, c’est toi qui donnes, c’est moi qui reçois, c’est moi qui dois…
Ton bonheur, ton plaisir, tes délices, ta volupté,
Sont ma joie.
Si à tout instant tes désirs, ton contentement, la satisfaction de ton corps et de ton âme 
Demeurent au centre de mes pensées,
C’est que je pense à moi,
Seulement à moi,
Puisque c’est TOI
Puisque c’est nous.

Décembre 2007

Le Pigeon

 

L'œil rond
Du pigeon
Se moque de nos raisons
Il picore 
Le décor 
De nos vœux en or
Qu'il est doux de s'aimer, tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins
Le banc
De nos élans
S'étale en plein vent
La Seine
Entraîne
Les flots de nos peines
Qu'il est doux d'oublier, tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins

Que dire
Du navire
Qui part comme sourire
Il porte 
Dans sa hotte
Plus d'une amour morte
Qu'il est doux de partir, Tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins
Au loin
Sur ce chemin
Nos yeux visent le même point
Que faire
Sur la terre
Si c'est pour se taire
Qu'il est doux de créer, Tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins
L'œuvre
De nos fleuves
Réunis nous abreuve
Le fruit
De nos vies
C'est le plus beau défi
Qu'il est doux de vivre, tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins
Le pigeon
Vrai démon
Vole vers d'autres horizons
Il tisse
La musique
Des voiles de la vie
Qu'il est doux de s'aimer, tiens !
Tu es heureuse, je suis bien
En prenant ta main
J'ai fondu nos destins
Septembre 1976
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